On a le choix du non choix. On est dedans mais on peut toujours opter de river ses yeux sur la porte fermée, sa poignée soigneusement évitée, désinfectée à outrance par des mains rêches d’être trop lavées, ou bien regarder par la fenêtre. Une question de prisme toujours, de perspective. Une pièce sans porte, et alors ? Sans fenêtre, c’est la claustrophobie assurée. Le monde presque entier, s’avère actuellement fermé à double tour : « confiné » ; adjectif atroce, asséné partout de manière éhontée et répétitive ne sortant jamais sans son pote le nom : « confinement » et son antonyme dorénavant censé être porteur d’espoir : « déconfinement ». On a le sentiment que l’on parle de sardines en boîte, d’un processus obscur de cuisine complexe mais non, il s’agit bien de nous dont on glose. Blague ou cauchemar ? Nous voilà donc bien emballés, enrubannés pour les mieux lotis, mis en boîte pour les autres, obéissants ou rebelles, tous ou presque : confinés.
Nous sommes dans une ère qui donne raison à nos pires tendances névrotiques débutant par la simple et commune pathologie d’hypocondrie aux tocs de propreté, s’achevant par nos peurs humaines profondes et fondamentales du manque, de la perte, de la solitude, de la maladie, de la mort.
Il fait pourtant beau dedans, la lumière rentre dans l’appartement, l’air frais aussi. En arrière fond du bruit anxiogène des ambulances, les oiseaux chantent. On aurait envie de sortir, mais non. Les autres, c’est dangereux. Le monde est dangereux. L’extérieur est dangereux. « Stay safe », slogan que l’on entend à tout va, comme s’il y avait un moyen de rester en sécurité à jamais, ou peut-être justement à l’abri du risque dans sa chambre bien cloisonnée, à l’abri d’absolument tout, même de la vie.
« La fenêtre sur le monde », une expression qui à l’époque désignait la télévision. À présent, nous avons internet ; des articles à foison aux titres racoleurs véhiculant une terreur mêlée à un pathos crasse et puis, pour décompresser, des vidéos comiques sur le sujet ou alors une star montrant de quelle manière elle s’occupe savamment à ne rien faire ; exhibitionnisme du vide. Platitude abyssale mais encouragée puisque validée par l’extérieur aspiré, intériorisé par ces réseaux « sociaux », seule sociabilité acceptable désormais. Serait-elle moins contagieuse ? Épidémiologiquement parlant, sûrement…
Ensuite, il y a le « télé-travail », censé instituer un rythme, nous donner l’impression d’un « faire comme si ». Comme si on pouvait remplacer le contact humain, comme si la numérisation de la société allait de soi. Il suffit de s’adapter, vivre avec son temps. Cette sauce là, c’est pour ceux qui ont de la chance, car le personnel soignant, les caissiers, les livreurs, eux, sont confinés dans l’air vérolé de l’extérieur. « Exposés », comme on dit. Enfin, évoquons les grands perdants : impossible d’être « indépendants » sans les autres. L’indépendance paie le prix fort de sa solitude et se terre ainsi dans son propre paradoxe.
Ici et maintenant, le soleil brille, la nature foisonne, les insectes fourmillent, on pourrait même, si on est privilégiés, pas malades, dans un lieu de vie assez grand, avec le bon compagnon dans une situation correcte, se dire que la vie est belle. Cela fait beaucoup de conditions à remplir car compte-t-on parmi les personnes à risque les gens précaires psychologiquement, ceux qui par exemple vivent avec un conjoint violent, les êtres vraiment seuls sans personne pour leur faire les courses ? Les listes de fragilités ne se résument pas à un état de santé. Entre ceux qui kiffent et ceux qui galèrent, il y a tous les autres qui sont « entre parenthèse » ; les célibataires qui se réjouissaient de faire de nouvelles rencontres, ceux qui n’ont pas pu rentrer de voyage ou qui venaient de se faire licencier etc.… Les situations instables se retrouvent toutes comme en double pause.
Comment s’y prendre donc pour exister autrement qu’à travers le regard des autres ? Peut-être intégrer cette distanciation forcée pour mieux se regarder en face et redécouvrir la dimension véritable de ce que l’on appelle la vie intérieure, pas celle qu’on prend on photo pour se montrer encore pertinent aux yeux des autres, celle qui s’éprouve au fond de l’être. Devenir un porteur sain de sa propre intimité. Développer les anticorps de ses faiblesses.
Ici et maintenant, s’acharner à respirer au mieux pour assurer le « plus tard ». Intégrer le risque pour le dépasser. Sortir des injonctions paradoxales permanentes : « tout est danger mais soyez sécures». Sortir du cadre étriqué de son ordinateur. Choisir de regarder par sa fenêtre et se couper des réseaux nocifs haineux ; lire, relire les journaux, écrire, peindre, chanter, danser, marcher, cuisiner, créer puisque pour ne pas mourir il nous faut bien nous rappeler de vivre.
Regarde par ta fenêtre, tu te rappelleras par le reflet que la vitre te renvoie, mêlé du paysage de ton horizon et de ton intériorité que tu es plus vivant que tu ne le crois.