« Lâcher prise »vs « laisser-aller ». L’équation impossible de la maternité.

« Elle se laisse aller. » « Elle devrait lâcher prise. » Ces deux injonctions accolées l’une à l’autre semblent complètement impossibles à associer pour une jeune ou moins jeune mère moderne. La voici la fameuse, la très sérieuse injonction paradoxale conjuguée au carré et souvent au féminin.

Devenue maman, je reste subjuguée, presque sidérée par la pression qui nous entoure comme une aura inversée ; celle de rester dans le coup, jeune, « fit », à la mode, de bonne humeur, ferme mais détendue, ne surtout pas oublier d’avoir l’air complètement épanoui ; non le « baby blues » ne nous a pas affectées, non, nous ne sommes pas épuisées, non nous ne sommes pas parfois au bord du « burn-out » et puis : « on avait qu’à arrêter de bosser ou alors ne pas faire d’enfant. »

Les femmes des générations précédentes restent dans une certaine incompréhension : de quoi se plaint-on ? On peut garder son emploi, déléguer la garde de nos progénitures et bénéficier d’ une femme de ménage. C’est qu’elles avaient intégré la notion de violence symbolique les anciennes, celle bien bourdieusienne qui implique le sacrifice d’office. « On ne naît pas femme, on le devient. » N’est-ce pas Simone ? Pour le meilleur et pour le pire.

La sphère privée reste délicate, chanceuses sont celles qui peuvent compter sur un compagnon soutenant et quand bien même le souhaiterait-il , l’homme profite de deux semaines de congé paternité désormais, quelle aubaine ! Deux semaines, le temps d’une éducation. La sphère politique sous couvert de vagues roses et vertes se maintient pourtant dans un archaïsme crasse.

En Suisse, le « congé maternité » dure peu de temps et porte mal son nom, car en effet, rien dans ce temps si particulier ne ressemble à un temps « off ». Nuits courtes, manque de reconnaissance, hyper vigilance et dévotion de tous les instants où prendre du temps pour sa rééducation s’inscrit dans la case « prendre du temps pour soi ». De qui se moque-t-on ? Le congé parentalité est peut-être proche mais la charge mentale et émotionnelle restent actuellement terriblement féminine.

Après une grossesse qui modifie entre autres, notre structure cérébrale, nous devons en plus de nous réapproprier notre corps , réintégrer notre mental sans oublier d’incarner notre nouvelle fonction de mères, censée être innée, faire face au vertigineux de la responsabilité, à l’angoisse que cela peut susciter aux émotions multiples que cela peut générer. Alors bien sûr, que le lot de la maternité contient des bonheurs inégalés mais nous devons absolument nous libérer des injonctions sociétales sclérosantes.

Lorsque j’entends : « elle se laisse aller » , souvent en référence à une femme, plus précisément une mère, je pense : Qui s’occupe d’elle, lui laisse du temps pour faire son sport, aller chez le coiffeur etc… ? Et puis, lorsque je capte des accusations de psycho-rigidité chez ces mêmes protagonistes, je me demande : à qui la faute ? Le système actuel provoque une prise en charge organisationnelle quasi exclusivement féminine de la famille.

Il faut tout gérer mais rester « cool », ne pas être trop mégères et autoritaires sans oublier d’être sexy : « you better work bitch. » « Indeed », comme dirait Britney . Elle a plutôt mal fini. Je serais plus de la team du maître Gims : « Laissez passer. »Pardonnez-moi de jongler entre sociologie et pop bas de gamme mais finalement quelle différence ? Le message s’avère le même : et oui, parfois, il est bon les filles, de laisser couler,de se laisser aller pour mieux lâcher prise et ainsi résoudre l’équation en chantant, attendant que la mélodie finisse par rentrer dans la tête d’une société dont le corps peine à avancer. Ça finira par rentrer.